le 1er styliste Français : Paul Poiret (2/2)

(Image d’entête : « Robe de soirée de Poiret » illustration de Georges Lepape. Celle-ci montre la célèbre tunique abat-jour portée sur une longue jupe étroite.)
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La folie des grandeurs :
Pourtant, ces débuts si génialement simples dégénèrent rapidement. Poiret place la taille, et donc la poitrine, de plus en plus haut; il échancre les décolletés et rétrécit les jupes. En 1910, il invente la célèbre jupe entravée, qui se rétrécit tellement jusqu’à l’ourlet qu’elle contraint celle qui la porte à trottiner, comme une geisha. Poiret trouve cela amusant : « J’ai libéré le haut de leur corps, mais j’entrave leurs jambes. » Mais cette fois-ci il a commis uen erreur : les femmes ne le suivent pas et sa jupe entravée ne s’impose pas.

Mais cela ne préoccupe guère le dictateur de la mode. Voilà bien longtemps déjà qu’il se voit sous les traits d’un sultan, revêtant les femmes de son harem des tenues orientales les plus somptueuses. Il impose à ses esclaves le port du cafetan et du kimono, du pantalon bouffant et de la tunique, des voiles et du turban, et elles le suivent avec enthousiasme.

C’est enfin le retour du luxe par excellence: broderies chamarrées, dentelles tissées d’or et d’argent, somptueux brocarts, galons à franges, perles et plumes rares -seul mot d’ordre : l’exotisme. Car l’Orient tient tout le monde sous le charme depuis la première tournée -triomphale- des Ballets russes à Paris, en 1909.
Les impressionnantes mises en scène baroques de Schéhérazade et du dieu bleu par Diaghilev influencent les arts et les modes, et jusqu’au style de vie de la décennie tout entière.

Poiret se flatte d’avoir découvert la magie de l’Orient depuis longtemps déjà -en 1897, lors d’une exposition de tapis organisée par le grand magasin Le bon marché-, mais il ne pousse la folie orientale à l’extrême qu’après que les Ballets russes ont préparé le terrain.
En 1911, il organise le « 1 002e nuit », l’une des fêtes costumées les plus légendaires du siècle. Les frontières entre vêtement et costument semblent s’estomper; Poiret -exubérant et follement dépensier- tente de mettre en scène la vie comme s’il s’agissait d’une grande fête. accompagné d’une troupe de mannequins, il parcourt le monde : Londres, Berlin, Vienne, Bruxelles, Moscou, Saint Petersbourg et enfin New-York. Il puise son inspiration partout. Sur l’exemple des Wiener Werkstätte (ateliers de Vienne), il fonde un atelier d’arts appliqués ou seront créés des meubles, des étoffes et des objets décoratifs.
Il est le dernier couturier à lancer -dix ans avant Chanel !- ses propres parfums, et il renoue en 1911 avec un scandale synonyme de publicité en lançant la jupe-culotte. Le pape Pie X lui-même se donne la peine de réprouver cet homme immoral qui vit à Paris et qui s’appelle Poiret.

La même année Poiret crée un atelier dans lequel les créations du peintre Raoul Dufy sont imprimées directement sur les soies les plus délicates, une véritable révolution dans l’industrie textile, qui devait se contenter jusqu’alors d’imprimer de simples motifs sur des tissus très bon marchés. Mais Poiret constate au cours de ses voyages qu’on le copie partout, et il suggère la création d’un syndicat de défense de la grande couture française, afin d’assurer la protection des modèles originaux.

Poiret est le premier styliste véritable de ce siècle qui marque de son empreinte tout ce dont il s’entoure -et qui peut tout vendre, de l’accessoire jusqu’à l’aménagement intérieur. Il faudra attendre 85 ans pour que des stylistes s’emparent de ce concept : Ralph Lauren, Donna Karan, Calvin Klein, Gucci… présenteront dans les années 1990 leurs collections d’intérieur, jusqu’à des bougies parfumées- que Poiret employait pour les bals orientaux bien avant eux…
Tout à une fin :
Pourtant, Poiret n’est pas un visionnaire, il vit avec son temps. la première guerre mondiale n’a pas encore éclaté, et la vie semble suivre un cours normal. Poiret est incorporé dans l’armée, et lorsqu’il revient du front 4 ans plus tard il trouve tout changé. Surtout les femmes : il se plaint qu’elles soient « comme des abeilles sur leur ruche » et ignore Coco Chanel, sa nouvelle concurrente, « l’inventrice de la misère luxueuse ».
Cette déclaration est un véritable aveu d’impuissance. Poiret, en qui l’on célèbre un libérateur de la femme, ne comprend pas que la guerre a fait davantage pour l’indépendance des femmes que la mode. il continue à croire que les femmes n’attendent qu’une chose : que le maitre les contraigne à adopter ses créations surprenantes – » d’abord, elles maugréent, ensuite, elles obéissent, et pour finir, elles applaudissent ». Or, à présent, les femmes se contentent de rire et n’en font qu’à leur tête.
Poiret pense réussir à reconquérir son ancienne clientèle en organisant quelques fêtes somptueuses. Plus il voit fondre ses espérances, plus ses invitations se font généreuses : champagne, huitres (collier de perle compris), apparitions d’artistes tels Isadora Duncan, Pierre brasseur ou Yvette Guilbert. Au bout de 6 mois seulement, il a accumulé une demi million de dettes!

Il trouve des financiers, qui tirent profit de son génie mais veulent aussi le soumettre aux lois du marché. Poiret se sent humilié et attend la meilleure occasion pour reconquérir son trône de roi des couturiers sur un coup d’éclat.
L’exposition art-déco, en 1925, lui semble être le moment propice.
Poiret expose ses créations sur la Seine, à bord de 3 péniches : la première sert de restaurant de luxe, la seconde renferme un salon de couture et la troisième abrite une boutique de parfums, d’accessoires et de meubles.
L’agencement, comme toujours avec Poiret, est grandiose… tout comme les coûts, que les financiers refusent de prendre en charge. Poiret fait faillite, mais il continue à mener grand train.

Il éprouve de l’amertume à voir d’autres couturiers trouver le succès avec ses propres idées : la mode punit toujours les précurseurs…
Lorsque Denise, son épouse, le quitte, Poiret, maussade, se retire en Provence, ou il devient peintre. Il meurt en 1944, pauvre et oublié. mais son œuvre va contribuer à la survie de la mode…
(Source : la mode au siècle des créateurs par C. Seeling)
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